Pour comprendre notre état d’esprit au départ de la course, il faut imaginer l’émulation autour de cet événement dans le centre ville de Caen: le village de course attire les foules, qui viennent admirer les bateaux et espérer pouvoir échanger avec les skippers, tous affairés aux derniers préparatifs pour que le bateau soit prêt à affronter une météo qui s’annonce musclée. Les enfants s’aggripent aux barrières qui les séparent des pontons en hélant les skippers pour obtenir des autographes. La veille du départ, nous sommes tous rassemblés dans une grande salle de conférence pour le briefing de course: briefing sécurité mené par le CROSS Jobourg pour nous sensibiliser aux opérations de sauvetages en mer, et briefing météo sur les conditions attendues. La tension monte en imaginant la conduite à tenir en cas de naufrage, et en écoutant attentivement les commentaires sur l’évolution de la dépression, qui doit remonter vers le nord pour arriver sur notre zone de course le jeudi et le vendredi, impliquant des conditions de mer et de vent particulièrement difficiles. Nous qui débutons dans la course au large, nous accordons particulièrement d’importance aux conseils et ressentis des skippers plus expérimentés: lors du briefing, plusieurs de ceux dont le palmarès donne une légitimité indéniable en la matière (Vainqueur de la route du Rhum, vainqueur de la précédente édition de la Normandy Channel Race…) semblent s’inquiéter du vent fort sur le départ et de la dépression annoncée en fin de semaine. L’ambiance est grave, et leurs remarques font encore monter notre anxiété. Nous avons hâte de prendre le départ car ces moments précédant la course sont particulièrement stressants, et nous savons qu’une fois en course, il sera temps d’agir, ce qui est parfois plus facile que d’envisager tous les scénarios!
UN DÉPART MOUVEMENTÉ
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Le jour du déart, nous larguons les amarres dans le bassin Saint Pierre sous les commentaires de l’animateur, qui présente les équipages à tous les badauds venus admirer le défilé de bateaux qui remontent le canal à la file indienne « les voileuses au large, dont c’est la première participation à la Normandy Channel Race. Bon vent Claire-Victoire et Charlotte! », et nous quittons le bassin sous les applaudissements du public, venu nombreux pour l’occasion. A mesure que nous remontons le canal vers Ouistreham, le silence se fait lourd, l’ambiance est grave, nous savons que le départ sera difficile: 30 noeuds annoncés en baie de Ouistreham, et une mer mal rangée. Les bateaux entre tous dans le « SAS », minuscule bassin qui sépare le canal de l’océan et qui permet aux bateaux de passer l’écluse. Le SAS se referme derrière nous, et le niveau d’eau se met à monter. Nous apercevons alors la mer déchainée au dehors, d’une couleur verdatre, blanchie par le vent. La rupture entre le calme du canal et l’agitation au dehors est impressionnante: il plane une ambiance de « Hunger Games », les portes de l’écluse vont s’ouvrir, et les bateaux vont se déverser dans cette arène grandeur nature, chacun seul face à la brutalité des éléments. Nous sortons de l’écluse, hissons la GV, et nous dirigeons vers la zone de départ. Les bateaux tournent autour de la ligne jusqu’au signal d’avertissement (5 minutes avant le départ), puis chacun se positionne au mieux, et les bateaux s’élance avec une vitesse folle pour prendre le meilleur départ possible. Notre course commence par une mésaventure: au moment de dérouler la voile d’avant, moins d’une minute avant le départ, l’écoute se bloque dans une poulie, et la force du vent serre le noeud immédiatement. Nous n’arrivons pas à la débloquer, notre voile fasceille violemment, et nous prenons un très mauvais départ. Charlotte essaye d’aller débloquer le noeud, lorsqu’elle s’avance vers l’écoute, celle-ci, agitée par le vent, la frappe violemment à la tête, et elle se revient dans le cokpit, sonnée. Nous finissons par défaire ce satané noeud, mais nous avons perdu de précieuses longueurs sur le peloton de tête qui s’élance vers les îles Saint Marcouf. Après avoir envoyé une photo du plombage du moteur, pour prouver qu’il est bien en place, et avoir redémarré notre système électronique qui en faisait des siennes, nous voilà bien lancées dans la course, prêtes à affronter la Manche.
LA REMONTÉE DE LA MANCHE ET LE PASSAGE DU SOLENT
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Après avoir contourné les iles Saint Marcouf, nous entamons la Transmanche. Nous doublons « Chinook », un concurrent qui a l’air de faire face à des problèmes techniques. Nous ne sommes plus dernières, et c’est bon pour le moral. Le vent souffle encore fort, entre 25 et 30 noeuds. La nuit tombe, nous commençons les quarts, une heure chacune sur le pont. A la tombée de la nuit, notre vitesse toimbe soudainement de 9 noeuds à 3 noeuds. Stupeur, que se passe-t’il? Le bateau n’est plus contolable, il vire de manière intempestive. Un coup d’oeil aux safrans et nous réalisons que nous nous sommes accrochées dans une bouée de casier. Nous arrivons vite à nous en défaire, mais décidément, cette première journée nous réserve des surprises! Dans la nuit, nous arrivons à l’entrée du Solent, entre l’ile de Wight et le sud de la côte anglaise. Mille lumières illuminent la côote, et il est difficle de distinguer les phares, balises, bouées, et bateaux au mouillage. Le courant est fort, mais dans le bon sens: nous sommes aspirées vers le Solent, comme sur un tapis roulant, et c’est assez jouissif! Le jour se lève alors que nous chennalons, la côte est magnifique, nous envoyons le spi, et c’est un moment magique, hors du temps. Une vedette des affaires maritimes anglaises vient nous demander d’empanner pour laisser passer un énorme Ferry qui doit traverser le Solent. Nous avons beau pester, et leur expliquer que nous sommes en course, ce n’est pas négociable, nous devons nous dérouter 5 minutes. « Sorry Maam » disent-il gentiment. Oui mais nous, ça ne nous avance pas, les concurrents sont devant, il va falloir appuyer sur l’accélérateur. Nous redoublons d’efforts pour régler le spi. A la sortie du Solent, le evnt forcit, et nous glissons bien. Notre vitesse est bonne, nous nous dirigeons vers la prochaine étape, Land’s End, nous sommes satisfaites. Le vent forcit d’avantage, et le spi n’est plus tenable: nous « partons au tas » violemment, le bateau se couche, loffe et nous emmène vers la côte, sans que nous puissions le maitriser. Plus de peur que de mal, nous arrivons, après de longues minutes d’adrénaline, à reprendre contrôle, et nous réduisons la toile.
EMPÉTOLÉES JUSQU’À LAND’S END, ET REMONTÉE DE LA MER CELTIQUE
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La deuxième nuit tombe, et le vent avec. Nous nous retrouvons « empétolées », c’est à dire bloquées dans une zone sans vent, sans réussir à avancer. Nous n’avons pas pris une bonnne décision tactique, car certains de nos concurrents ont réussi à se positionner dans une zone plus ventée. C’es nerveusement très difficile d’être aussi démunies lorsque le vent ne veut plus se montrer. Après des heures de patience (ou d’impatience), nous arrivons finalement à l’extrémité Ouest de la Cornouaille, Land’s End. Nous sommes à contre-courant. Pour nous abriter du courant, nous passons très proche des côtes, nous sommes concentrées sur la cartographie car nous risquons gros en nous approchant trop près! Le passage est étroit mais nous en sortons sans encombre, fière de cette décision qui nous a permis de rattraper quelques milles sur nos adversaires, et d’admirer la côte anglaise de très (trop?) près. S’ensuit la remontée de la mer Celtique, en direction de Tuskar Rock. « Chinook », l’équipage concurrent derrière nous, nréduit l’écart sur cette portion. Nous sommes désormais à portée VHF, nous en profitons pour échanger nos ressentis. Cela fait du bien de parler avec les concurrents! La nuit, nous devons redoubler de vigilance car les pêcheurs sont nombreux. L’un d’eux nous provoque une frayeur, car le vent est tombé, nous ne sommes pas manoeuvrantes pour l’éviter, et il fonce droit sur nous. Nous le contactons à la VHF, sans réponse. Nous espérons qu’il nous a vues car nous ne pouvons rien faire de plus! il passe très proche de nous, mais évite la collision. Ouf!! Nos concurrents sur « Label Emmaus » n’ont pas eu la même chance, ils ont été percutés par un pêcheur dans la même zone et sont contraints à l’abandon…
TUSKAR ROCK, LE SUD DE L’IRLANDE, ET LE PHARE DU FASTNET
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Au petit matin, nous enroulons le phare de Tuskar, l’extrémité nord du parcours. C’est un grand moment, nous sommes fières du chemin accompli, et la lumière du matin qui se reflète sur ce phare mythique fige cette image hors du temps dans nos esprits. Chinook nous rattrape sur l’envoi de spi, nous sommes désormais côte à côte. C’es très difficile moralement, nous sommes à nouveau endernière place ex aequo avec elles, et nos caractères de compétitrices ne le supportent pas. Nous redoublons d’efforts. Le vent monte, la journée est sportive, il faut sans cesse régler le spi pour éviter de partir au tas. Mais nous ne voulons pas réduire la toile car nos adversaires prendraient de l’avance… C’est à celui qui prendra le plus de risque sans causer de dégats, les deux bateaux sont sur le fil, surfant à 18 noeuds dans la houle, sachant qu’à tout moment un départ au tas peut initier un enchaînement de problèmes techniques qui peut pourraient permettre à l’adversaire de s’échapper. Tout la journée dure ainsi, et à la tombée de la nuitn nous arrivons au phare du Fatsnet avec une dizaine de miles d’avance sur Chinook: victoire, nos efforts n’ont pas été vains, nous avons regagné notre avance! Le phare du Fatsnet est grandiose, posé sur un rocher gigantesque, au milieu de l’immensité bleue. Nous affalons notre spi alors que la houle de plusieurs mètres fait plonger notre bateau dans les vagues: Claire-Victoire a presque les pieds dans l’eau lorsqu’elle va à l’avant pour « chaussetter » le spi. Des gerbes d’eau jaillissent de part et d’autre d’elle. La manoeuvre terminée, nous nous écrasons dans le cockpit, épuisées, et émues d’avoir passé ce phare mythique dont tant de marins parlent!
DESCENTE VERS LES SCILLY ET COUP DE VENT EN MANCHE
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Plus que jamais motivées à rattraper nos concurrents après cette belle journée sous spi où nous avons considérablement réduit l’écart avec le reste de la flotte, nous entamons la descente vers les iles Scilly, au près. Toute la nuit, nous nous concentrons pour gagner des dixièmes de noeuds, qui nous permettront de nous approcher de « Trim Control », le concurrent qui nous précède d’une quarantaine de milles . Nos efforts payent car au petit matin, il n’a plus que 20 milles d’avance sur nous. Nous arrivons aux iles Scilly, et le vent se met à souffler fort: 30-35 noeuds. Nous le savions , les fichier météo prévoyaient une dépression en Manche, et c’est ce que redoutaient tous les participants. Nous y voilà, avec deux ris et une trinquette (petite voile d’avant), subissant chaque rafale en essayant tant bien que mal de garder le bateau dans le bon axe. Nous choisissons de nous diriger vers le sud de la Manche, où le vent semble moins fort. La nuit est dure, nous sommes trempées, frigorifiées, la mer est agitée,e t le vent ne faiblit pas. Au matin, nous recevons les positions des concurrents et réalisons que « Trim Control » a du se dérouter en Angleterre, sans doute à cause d’un problème technique dû au vent fort. Nous apprenons par la suite qu’il est contraint à l’abandon. Nous sommes déçues pour eux, mais heureuses de l’option « sud de la Manche » que nous avons prise, et qui nous a permis d’épargner (un peu) notre bateau, en restant dans 30-35 noeuds, contre 40 noeuds au nord. D’autres concurrents ont abandonné, mais nous sommes toujours en course, fières d’avoir affronté cette dépression sans encombre! Nous décidons d’adopter cette stratégie pour le reste deu parcours: descendre au sud dès que le vent dépasse 30 noeuds, et virer de bord pour retourner vers le nord lorsqu’il baisse en dessous de 20 noeuds. Cette stratégie nous oblige à traverser le « rail » (l’autoroute des cargos et ferry qui passent en mer Manche) une dizaine de fois. Le traffic est très dense dans cette zone, et les cargos se déplacent très rapidement. Nous les évitons, ou les appelons à la VHF pour leur demander de nous éviter quand ils ont la gentillesse de comprendre que nous ne manoeuvrons pas aussi facilement qu’eux. Dans la nuit, pour éviter de mulitplier des manoeuvres, nous appelons tous les bateaux que nous voyons à l’AIS (une sorte de cartographie des bateaux présenst dans notre zone), afin de leur demander de se dérouter. La plupart sont très coopératifs. Lorsque le jour se lève, nous réalisons que nous avons dérouté un voilier! Le pauvre, a autant de difficultés que nous à manoeuvrer, et nous lui avons demandé de modifier sa route car nous pensions sur l’AIS qu’il s’agissait d’u n cargo!
CONTRE-COURANT DANS LE COTENTIN, ET MÉSAVENTURE NOCTURNE
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Les premiers concurrents sont arrivés à Caen, et le vent commence à tomber. Nous nous sommes sorties du coup de vent sans encombre, mais une diffiuclté supplémentaire nous attend: la pétole! Le vent tombe tellement, que nous sommes « scotchées », nous n’avançons plus! Quelle frustration, a quelques dizaines de milles de l’arrivée! En plus, nous sommes dans une zone où le courant est très fort: au nord de Guernesay, proches du Raz Blanchard. Toute la nuit, le courant nous malmène et nous fait quasiment reculer… C’est sans doute le moment le plus éprouvant psychologiquement. Après de longues heures encalminées, le vent se lève à nouveau et nous repartons, à l’assaut du Cotentin! Désormais le courant est avec nous, nous avançons à une allure correcte, et la fin se fait proche! Désormais nous savons que nous arriverons dans la nuit. L’émotion est grande, nous sommes sur la dernière ligne droite, et nous n’avons plus beaucoup de doutes sur l’issue de la course. Cette dernière après-midi est magique, nous sommes euphoriques d’arriver au bout d’une si belle aventure. A la tombée de la nuit, nous ne sommes plus qu’à quelques heures de l’arrivée, et le vent tourne. Nous devons affaler notre spi. Mais catastrophe, une erreur de notre part et le spi est bloqué en haut du mat, autour de la voile d’avant à moitié déroulée. Une seule solution: monter au mat pour défaire le noeud. Si près du but, nous sommes tellement déçues de devoir faire face à une ultime situation de crise! Après les premiers instants de stress, l’adrénaline qui monte, nous décidons que Charlotte montera au mat et Claire-Victoire gérera la trajectoir du bateau et l’ascension de Charlotte depuis le cockpit. Une fois là-haut, le noeud est vite défait, et le spi peut être affalé. Plus de peur que de mal! Nous n’avons plus qu’à parcourir les quelques milles restants. Un zodiac nous escorte pour la dernière demi-heure, nous touchons vraiment au but. Vers 3 heures du matin, nous frachissons la ligne. Quelle joie, quelle émotion, quelle fierté!! Nous allons esnuite nous accoster à Ouistreham, sous les applaudissement d’une dizaine de personnes venues nous accueillir. Nous sommes tellement heureuses de les voir! Maxime et Pierre-Louis, qui nous ont tout appris depuis nos premiers pas en Class40 en février dernier, sont là pour nous félciter. C’est un moment partciulièrement émouvant, où le sentiment d’accomplissement est si fort! Cerise sur le gâteau, grâce à cette course, nous sommes désormais qualifiées pour la Transat Jacques Vabre!
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